Parlement ou gouvernement, qui aura le dernier mot sur la réforme des retraites ?

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20 jours de débats et pas un de plus à l'Assemblée nationale. Le temps des discussions sur le projet de loi de la réforme des retraites est écoulé pour les députés qui, après des heures de séances parlementaires – souvent réduites à l'échange d'invectives –, ne sont pas parvenus à aller au bout du texte. A partir du vendredi 17 février à minuit, quelle que soit l'avancée des discussions, le projet de loi sera examiné au Sénat pendant 15 jours. Des délais très courts dictés par l'usage de l'article 47.1 de la Constitution. Lui-même ne sort pas de nulle part puisqu'il conditionne la durée de l'examen d'un projet de la loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale (PLFRSS).

Si la pratique est peu commune, le gouvernement a décidé, certainement à dessein, de passer par un PLFRSS pour soumettre sa réforme des retraites. Un choix qui offre à l'exécutif plusieurs portes de sortie pour faire adopter sa réforme tant controversée, dont certaines qui permettent de s'affranchir du vote des parlementaires. Mais alors que le texte de la réforme des retraites quitte l'Assemblée nationale, y reviendra-t-il après son passage au Sénat ?

Que prévoit l'article 47.1 de la Constitution ?
L'article 47.1 de la Constitution tient en quelques lignes et porte sur le vote des projets de loi de financement de la Sécurité sociale. Il impose des délais aux deux assemblées constitutives du Parlement pour statuer sur un texte. "Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours", dispose l'article. Si passé le délai des 50 jours, le Parlement ne s'est pas prononcé sur le projet de loi, le gouvernement peut faire adopter le texte par ordonnance.

La réforme des retraites va-t-elle retourner à l'Assemblée nationale ?

Près de la moitié du temps accordé au débat par l'article 47.1 de la Constitution s'est écoulé pendant la première lecture du texte à l'Assemblée nationale, une lecture qui n'a avancé que sur trois articles sur les vingt que compte la réforme des retraites. Résultat : le texte va partir au Sénat sans que les députés n'aient voté le projet de loi dans sa globalité. Mais l'occasion pourrait se représenter, sous certaines conditions. Après le premier passage du texte au Sénat, il restera 15 jours au Parlement pour organiser un nouvel aller-retour législatif et se prononcer.

Compte tenu de l'importance qu'accorde l'exécutif à la réforme et l'obstruction rencontrée dans l'hémicycle, le gouvernement pourrait vouloir "accélérer les choses en convoquant une commission mixte paritaire [un groupe d'une douzaine de sénateurs et de députés réuni pour débattre d'un projet de loi, ndlr] capable d'aboutir à une version commune du texte", explique Guillaume Tusseau, professeur de droit public  à Sciences Po spécialisé dans le droit constitutionnel auprès de Linternaute

Cette nouvelle version du texte devrait alors retourner tour à tour à l'Assemblée nationale et au Sénat pour une possible adoption du texte par le Parlement, moyen a priori le plus légitime pour promulguer une loi. Le risque serait d'assister à une nouvelle obstruction à l'Assemblée et là, "le gouvernement pourrait déclencher le 49.3".

Le gouvernement peut-il adopter seul la réforme des retraites ?

L'avantage d'un PLFRSS pour l'exécutif est qu'il peut renvoyer au gouvernement tout le pouvoir législatif en forçant l'adoption d'une loi. "Si au bout des 50 jours de débats, rien ne s'est passé au Parlement, soit le gouvernement laisse tomber sa réforme, soit il passe par une ordonnance", décline le professeur de droit à Sciences Po. Une mesure prévue par l'article 47.1 de la Constitution. Mais l'exécutif n'a pas besoin d'attendre la fin des discussions et de prendre le risque d'un rejet, grâce à l'article 49.3 de la Constitution, dont l'usage est illimité dans l'examen d'un PLFRSS. La Première ministre Elisabeth Borne a toutefois écarté l'hypothétique recours au 49.3 pour la réforme des retraites, consciente de la gronde que cela susciterait, encore plus après dix recours à l'outil parlementaire à l'automne dernier.

Le Conseil constitutionnel peut-il retoquer la réforme des retraites ?

Tandis que le Parlement et le gouvernement sont obnubilés par la réforme des retraites, une autre institution dispose d'un droit de regard sur le texte : le Conseil constitutionnel. Et à coup sûr, il sera interpellé sur certains points, notamment sur le recours à un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale pour faire adopter la réforme des retraites. Les PLRFSS sont une catégorie de loi qui traite uniquement des dépenses et des recettes de la Sécurité sociale. Or, dans la réforme, plusieurs dispositions pourraient échapper à cette condition, notamment l'index séniors. Guillaume Tusseau reconnaît une "ambiguïté" mais imagine que "le gouvernement n'a pas décidé de recourir à un PLFRSS de manière inconsidérée et doit être assez assuré de son bon droit".

L'avis consultatif du Conseil d'Etat, qui ne présage pas de la décision du Conseil constitutionnel, peut être un indice sur le possible recours, ou non, à la censure, selon Guillaume Tusseau. Mais avant que la réforme des retraites n'arrive au Parlement, le Conseil d'Etat n'a pas trouvé à redire sur le choix du gouvernement de présenter son texte dans un PLFRSS, comme le notaient Les Echos.

L'article 47.1 peut-il être utilisé pour la réforme des retraites ?
Si le recours à un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale (PLFRSS) est entendu, alors l'usage de l'article 47.1 de la Constitution l'est aussi. L'exécutif peut justifier cette pirouette législative car c'est bien la Sécurité sociale qui est chargée du versement des pensions de retraite par le biais de l'Assurance retraite. Cette assurance qui regroupe la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et son réseau régional (Carsat, CGSS, CSS) s'occupe du calcul des pensions et de leur allocation.

Des articles de la réforme des retraites peuvent-ils être censurés ?

"Le Conseil constitutionnel n'hésite pas à censurer des dispositions qui n'ont rien à faire dans un projet de loi de financement de la Sécurité sociale", prévient Guillaume Tusseau. Et la réforme des retraites ne fera exception. Le spécialiste du droit constitutionnel explique que les gouvernements peuvent profiter du véhicule législatif qu'est le PLFRSS pour "insérer tout un tas de choses qui n'ont pas vraiment de rapport avec les recettes et les dépenses de la Sécurité sociale". Ces dispositions sont appelées "cavaliers sociaux" et sont retirées du texte. "La grosse difficulté tient ensuite à la solidarité entre les dispositions. Si les cavaliers censurés sont indissociables des autres dispositions du texte, cela peut faire tomber toute la réforme des retraites", détaille le professeur de droit.

La censure de certaines dispositions ne serait pas un obstacle pour les articles validés de la réforme de retraites, lesquels "pourraient être promulgués et entrer en vigueur mais ne produiraient en pratique aucun effet car il manquerait tout un train de dispositions nécessaires pour appliquer" la réforme. Dans ce cas, pour être bel et bien effective, la réforme des retraites "devrait attendre l'adoption des dispositions censurées dans un projet de loi ordinaire au Parlement", finit de théoriser Guillaume Tusseau.



source https://www.linternaute.com/actualite/politique/2765275-parlement-ou-gouvernement-qui-aura-le-dernier-mot-sur-la-reforme-des-retraites/
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