Pourquoi EDF a versé un milliard d'euros de dividendes malgré des pertes historiques

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Ce sont deux petites lignes qui interpellent derrière les unes de la presse. D'un côté, l'ensemble des médias qui titre sur les pertes nettes historiques d'EDF en 2022 : -18 milliards dans les caisses du géant français de l'électricité. Un résultat jamais enregistré par l'électricien et parmi les plus considérables dans l'histoire des grands groupes tricolores, à l'issue d'une année complexe (lire plus bas). Mais de l'autre, nichés au cœur du "tableau de flux de trésorerie consolidé", deux libellés aux montants particulièrement élevés compte tenu du contexte financier de l'entreprise : ceux des dividendes versés aux actionnaires. 72 millions d'euros distribués indique la première ligne, 407 millions pour la seconde ! Comment expliquer de tels versements à l'issue d'un exercice aussi noir ?

Des dividendes liés à l'exercice 2021

En réalité, ces dividendes versés aux nombreux actionnaires d'EDF ne sont pas liés aux résultats de l'année 2022, mais à ceux de 2021 ! Le montant des dividendes ayant été acté lors d'une assemblée générale en mai 2022 et le paiement effectué quelques mois plus tard, ces dépenses sont affectées aux comptes de l'exercice 2022, indépendamment des chiffres réalisés en 2022, précise EDF à Linternaute. En 2021, EDF s'était targuée d'avoir enregistré un bénéfice de 5,1 milliards 2021, d'où la distribution de dividendes.

Ainsi, en 2022, ont été distribués 1,051 milliards d'euros de dividendes, nous détaille l'entreprise. Il est toutefois à noter que tout cet argent n'est pas directement allé dans la poche des actionnaires. Le principal portefeuille, l'Etat (84% à ce moment-là), s'est vu octroyer non pas un chèque mais de nouvelles actions au sein de l'entreprise, équivalentes au montant des dividendes, afin de renforcer sa mainmise. La majorité des autres actionnaires avait fait un choix similaire (93,28%). 66 millions d'euros ont servi à une augmentation de capital et 913 millions à l'émission de nouvelles actions. Au total, EDF n'a dû sortir de sa caisse "que" 72 millions d'euros pour ceux souhaitant récupérer immédiatement de l'argent. 

Quant aux 407 autres millions d'euros indiqués dans le rapport financier de 2022, EDF indique à Linternaute qu'il s'agit des "dividendes versés par les filiales du groupe à leurs actionnaires minoritaires", sans s'épancher sur la répartition. Il s'agit, pour les plus connues, d'Enedis, Dalkia ou encore des filiales d'EDF à l'étranger (Royaume-Uni, Italie, Belgique, Allemagne, Chine, Brésil, Etats-Unis). Ces sociétés ont également reversé 590 millions d'euros à EDF, la maison-mère.

Tous ces montants astronomiques ne sont donc liés qu'aux performances réalisées par le géant de l'électricité en 2021. "Aucun acompte n'a été versé au titre du dividende 2022" confirme EDF. Les discussions sur le sujet auront lieu lors de la prochaine assemblée générale, qui devrait se tenir dans quelques semaines. L'année dernière, elle avait eu lieu le 12 mai. Sans présager de la teneur exacte des débats, les versements de dividendes pourraient donc être bien moins importants cette année.

Comment s'expliquent les pertes historiques d'EDF ?

Ces dividendes s'inscrivent dans des résultats financiers 2022 catastrophiques pour EDF. Le géant de l'électricité français a enregistré 17,9 milliards d'euros de pertes pour un total d'endettement record de 64,5 milliards d'euros net. Un résultat négatif abyssal, malgré un chiffre d'affaires en forte hausse (143,5 milliards contre 84,5 milliards en 2021), lié à la hausse du prix de l'électricité. Mais la clôture de l'exercice est douloureux comptablement pour EDF. Alors comment expliquer un bilan si mitigé ?

Plusieurs facteurs sont à prendre en considération selon le communiqué de presse dévoilant résultats annuels 2022 d'EDF partagé vendredi 17 février 2023 par le groupe. L'entreprise a d'abord évoqué "le recul de la production nucléaire en lien avec le phénomène de corrosion sous contrainte, par l'impact des mesures régulatoires exceptionnelles en vue de limiter la hausse des prix pour les consommateurs en 2022 et, dans une moindre mesure, par la baisse de la production hydraulique".

Une baisse de production

En clair, pour empêcher l'explosion des prix dans un contexte de guerre russo-ukrainienne où l'énergie flambe en plus de l'arrêt des réacteurs nucléaires pour des raisons techniques, EDF a dû mettre la main au portefeuille. Le groupe a dû lui-même "acheter de l'électricité dans un contexte de prix de marché très élevés" pour répondre à une politique de "quoi qui l'en coute", souhaitée par le gouvernement, et de mise en place du "bouclier tarifaire". L'Etat, actionnaire majoritaire, a dès lors obligé l'entreprise à vendre de l'électricité à un prix inférieur que ses concurrents. Une mesure à 8,34 milliards d'euros.

En outre, le calendrier 2022 a joué en défaveur de l'entreprise. Car l'année passée, une partie du parc nucléaire en France a été immobilisée en raison de réparations imprévues de réacteurs à cause de la corrosion. Ce qui a causé des baisses de production énergétique et donc de profits. En 2022, jusqu'à 25 des 56 réacteurs nucléaires d'EDF ont été arrêtés au même moment. 

La baisse de production nucléaire n'est pas un phénomène isolé car EDF met en avant une production hydraulique en baisse de 9,4 TWh par rapport à 2021 qui "s'explique par une hydraulicité historiquement faible". 

Pour compenser ces baisses de production, EDF a dû drastiquement augmenter l'achat de combustible et d'énergie à d'autres entreprises, avec, à titre indicatif, une facture de 121 millions d'euros en 2022, contre un peu plus de 44 millions en 2021.

Une hausse des clients mais un effet négatif ?

Comme l'a cité le communiqué du géant français, le portefeuille de clients EDF a augmenté de 3% en 2022, soit une hausse d'environ un million de nouveaux contrats, précise le Figaro. Pourtant, cette hausse s'apparente à une "catastrophe financière" explique le quotidien. Emmanuel Autier, associé en charge du secteur de l'énergie chez BearingPoint note qu'"EDF a gagné des clients dans une période où la livraison d'électricité n'était pas couverte. À chaque nouveau contrat signé, le groupe creusait ses pertes". EDF ne s'est d'ailleurs pas caché dans son communiqué : "Le retour de clients chez EDF au tarif réglementé a un impact négatif (...) compte-tenu de l'achat des volumes correspondants sur le marché à prix très élevés". 

Malgré des pertes, un chiffre d'affaire record 

Le groupe a donc atteint une dette record de 64,5 milliards mais réussi à augmenter son chiffre d'affaire comparé à 2021, passant de 84,5 milliards à 143,5 milliards en 2022. Le groupe justifie cette envolée "par la hausse des prix qui se traduit par l'augmentation du tarif réglementé de vente, la progression de la valeur de revente des obligations d'achat et la progression des ventes des agrégateurs et des ventes de gaz". Cependant, c'est bien sur le résultat net que les dividendes sont versés et non le chiffre d'affaires.

Alan Calvez et Maxime Gil



source https://www.linternaute.com/actualite/societe/2765133-pourquoi-edf-a-verse-un-milliard-d-euros-de-dividendes-malgre-des-pertes-historiques/
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