Des manifestations parasitées par les violences. Le spectacle malheureux s'observe dans les rues de nombreuses villes françaises lors de chaque mouvement de contestation. Si ces violences semblaient être la chasse gardée des rassemblements spontanés contre la réforme des retraites - organisés quotidiennement depuis l'usage du 49.3 - elles ont gagné les manifestations syndicales lors de la grève du 23 mars. A Paris, à Rouen, à Lyon ou encore à Bordeaux, les affrontements ont fait froid dans le dos.
Alors que les incidents opposent systématiquement des individus radicaux ou des casseurs membres de Black Blocks aux forces de l'ordre, certaines scènes ont particulièrement retenu l'attention. Les interventions parfois musclées des autorités sont jugées abusives et arbitraires par des élus politiques, principalement de la Nupes, lesquels s'appuient sur les nombreuses arrestations enregistrées lors des manifestations. Mais le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, l'a assuré sur CNews : "Je ne laisserai pas salir les policiers et les gendarmes."
Quand une manifestation devient-elle un attroupement illégal ?
C'est récurrent à chaque manifestation, ou presque : les violences les plus extrêmes ont lieu à la nuit tombée, une fois le cortège syndical terminé. Mais pourquoi la situation dégénère-t-elle à chaque fois à ce moment-là alors qu'aucune violence significative n'a été vue lors des mobilisations contre la réforme des retraites ?
En France, les manifestations doivent faire l'objet d'une déclaration préalable en préfecture : un parcours et des horaires sont ainsi définis entre les organisateurs et les autorités publiques. Tout rassemblement en dehors de ce cadre peut ainsi s'apparenter à un attroupement. Cette situation est définie par l'article 431-3 du Code pénal : "Constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public." Dans ce cadre, une dispersion peut alors être effectuée, après trois sommations dans des termes bien précis.
Cependant, la loi n'encadre pas les méthodes à employer. Elle autorise toutefois un usage direct de la force, sans sommation, "si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent." Les forces de l'ordre ont donc pour mission de disperser les manifestants une fois le cortège arrivé. Mais à quel moment une manifestation devient-elle un attroupement ? Là est toute la question. Seule l'existence d'un risque de trouble à l'ordre public différencie les deux situations. Très subjectif, donc…
Des charges autorisées avec ou sans sommations ?
Lors des manifestations, avec les premières violences, viennent souvent les charges des forces de l'ordre. Comme un seul homme, policiers et gendarmes courent bouclier à la main en direction des fauteurs de troubles. Les autorités ont pour premier objectif de tenir la foule et les casseurs à distance des manifestants, mais la consigne évolue en cas de troubles à l'ordre public : il faut alors "disperser l'attroupement" après la prononciation des sommations, comme le stipule le schéma national du maintien de l'ordre. Au total, trois sommations doivent obligatoirement être faites avant toutes initiatives des forces de l'ordre, y compris les charges. Elles doivent être complétées par une quatrième en cas d'usage d'armes, à l'instar des gaz et grenades lacrymogènes.
En théorie, sans sommation -qui, pour être entendue, peut être associée à un tir de fusée rouge-, aucune intervention ne doit avoir lieu selon le schéma national du maintien des forces de l'ordre. Problème, les sommations n'ont pas toujours été entendues avant les charges de police lors des manifestations contre la réforme des retraites.
Signalement n5727
— Violences Policières (@violencespolice) March 23, 2023
Manifestants poussés, renversés, violemment matraqués au sol par les policiers pendant une charge. Violence gratuite, toujours sans interpellation.#Paris, 23/03/23, Source @TaoualitAmar#ReformeDesRetraites #Greve23Mars #ViolencesPolicieres pic.twitter.com/47QJKWb75G
Et même annoncée, une charge de police peut-elle viser tout le monde ? La charge qui a pour but la dispersion d'une foule ne semble pas réservée à un seul type d'individu, mais il parait évident qu'elle doit être menée à l'encontre des éléments perturbateurs plus que des cortèges classiques. Des images de policiers fonçant vers des têtes de cortège sont pourtant diffusées. Des cas de figure peuvent expliquer une telle intervention : des casseurs qui trouvent refuge à l'avant d'un cortège, une tête de cortège elle-même perturbatrice pour l'ordre public. Autrement, une charge contre un cortège semble difficile à justifier.
Quand les forces de l'ordre peuvent-elles faire usage des armes ?
Les interventions des policiers et des gendarmes doivent répondre d'un cadre précis et prévu par la code de la sécurité intérieure. L'usage des armes, quelles qu'elles soient, est encore plus encadré pour éviter des débordements graves. Seule une poignée de situations justifie le recours des forces de l'ordre aux armes selon l'article L435-1 du code de sécurité intérieure :
- Lorsque des individus armés portent "atteinte à la vie ou l'intégrité" de quelqu'un ;
- Après deux sommations, pour défendre un lieu ou des personnes et quand nulle autre solution n'est possible ;
- Après deux sommations, pour arrêter des individus susceptibles de porter atteinte à la vie ou l'intégrité de quelqu'un dans leur fuite ;
- Pour intercepter un véhicule dont le conducteur refuse d'obtempérer à l'ordre d'arrêt et qui risque de porter atteinte à la vie ou l'intégrité de quelqu'un dans sa fuite
- Pour empêcher la "réitération, dans un temps rapproché, d'un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis" quand des raisons objectives font craindre une récidive.
Un usage disproportionné du gaz lacrymogène ?
C'est ce qui est le plus utilisé par les forces de l'ordre lorsque les choses dérapent à la fin des manifestations. Le gaz lacrymogène, cette fumée blanche piquante qui se répand dans la rue, est monnaie courante lorsque les situations dégénèrent. Il faut dire que son "utilisation par un policier est assimilable à l'emploi de la force", expliquait la Ligue des droits de l'Homme, citant une instruction de la direction générale de la police nationale (DPGN) datant du 14 juin 2004. Ainsi, en l'espèce, le gaz lacrymogène, soit sous sa forme d'aérosol (les sprays à la main), soit sous sa forme de grenade, est utilisé pour disperser.
Si l'actuel schéma du maintien de l'ordre n'encadre pas son usage, cette même instruction de la DGPN dispose de plusieurs éléments à prendre en compte : "La bombe doit être utilisée en privilégiant des jets brefs d'environ une seconde ; Le nombre de jets devra être le plus limité possible ; La bombe devra dans toute la mesure du possible ne pas être actionnée à une distance de moins d'un mètre d'une personne." Par ailleurs, comme pour tout usage d'une arme, leur usage doit être fait uniquement "en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée."
Cependant, plusieurs vidéos et témoignages recueillis durant ou après les manifestations font état d'une utilisation abusive du gaz lacrymogène, comme à Paris, le 23 mars, où des adolescents inoffensifs sur un abribus ont été gazés ; à Prades, ce même jour, au milieu d'une manifestation en présence d'enfants en raison de la tentative de blocage d'une route, sans violence, par des manifestants (les détails sur France 3 Occitanie) ; ou encore à Strasbourg, le 21 mars, dans une nasse sans sortie selon des personnes présentes sur place.
Et après ? pic.twitter.com/58qLvq8V4g
— Paul Larrouturou (@PaulLarrouturou) March 24, 2023
Petite rue des dentelles, Strasbourg, gazés des deux côtés de la ruelle par les forces de lordre, et aucune possibilité de sortir, merci aux riverains davoir ouvert leurs portes pour nous laisser rentrer et nous éloigner des gaz #Strasbourg #MotionDeCensureTransPartisane pic.twitter.com/2f2H3y9haM
— (@maescargot) March 21, 2023
En revanche, l'usage de gaz lacrymogène s'est, dans diverses situations, justifié, notamment à Rennes, le 23 mars, où des personnes violentes au sein d'un cortège ont jeté plusieurs projectiles sur les forces de l'ordre présentes face à elles. En réponse, des lacrymogènes ont été envoyées, devant la dangerosité de la situation. Contexte similaire deux jours plus tôt à Paris, place de la République, où des provocations de forces de l'ordre ont eu lieu avec des tirs de mortiers d'artifice, auxquels une réponse a été opérée par de l'envoi de lacrymogène.
Des manifestants en tête de cortège lancent des projectiles sur les forces de l'ordre, stationnées sur le pont Pasteur à Rennes, qui répondent par des tirs de lacrymogènes. #ReformeDesRetraites #greve23mars pic.twitter.com/P9vZICUeRP
— Le Mensuel de Rennes (@MensueldeRennes) March 23, 2023
#Paris première tensions place de la république, feu dartifice contre gaz lacrymogène. #reformesdesretraites#blocage#manifestations#reformedesretraites #reformeretraites#MotionDeCensureTransPartisane pic.twitter.com/K0UWWMQTw6
— Jules Ravel (@JulesRavel1) March 21, 2023
Le LBD, un recours trop fréquent à une arme de guerre ?
C'est l'arme dont disposent policiers et gendarmes qui fait le plus débat en France. Le LBD, pour lanceurs de balles de défense, a été particulièrement critiqué lors des manifestations des gilets jaunes, durant lesquelles de nombreux participants ont été blessés par son usage. Toujours autorisé, son utilisation est une nouvelle fois blâmée. Le ministère de l'Intérieur explique, dans une réponse à une question posée au Sénat en 2019, que "l'utilisation du lanceur de balles de défense (LBD) s'impose lors d'émeutes urbaines, au cours desquelles des individus agressent les forces de l'ordre et qu'il est nécessaire d'isoler et de stopper les auteurs de ces agressions" et autorise son emploi "en cas de légitime défense, d'état de nécessité et de dissipation d'un attroupement." Ainsi, il n'est autorisé que dans le cadre de l'attroupement et non de la manifestation déclarée.
Classé comme "arme relevant des matériels de guerre" (A2), son maniement doit cependant se faire dans le strict respect du cadre légal, fixé par une instruction commune du directeur général de la police nationale et du directeur général de la gendarmerie nationale du 27 juillet 2017. Tout d'abord, son usage n'est pas soumis à une autorisation préalable d'un supérieur hiérarchique "mais en réaction immédiate à une situation". Surtout, son action "ne saurait être légitime que s'il est strictement nécessaire et proportionné à la menace à laquelle il répond." Par ailleurs, les policiers et gendarmes qui l'utilisent ne doivent viser que le torse, les membres inférieurs et supérieurs. Un tir à la tête est strictement interdit.
A Paris, le 20 mars, un policier a fait usage de son LBD envers une personne alors qu'aucune menace, à l'instant T, ne semblait mettre en danger l'intégrité physique de l'agent. Cependant, l'extrait de seulement neuf secondes ne permet pas de savoir ce qu'il s'est réellement passé au préalable. Par ailleurs, le plan étant fixé sur le tireur, rien ne dit que la personne visée a été touchée.
Après un tir de #LBD Tiens ramasse tes couilles enculé ! #ReformeDesRetraites #paris #manifestation #police #MontionDeCensure pic.twitter.com/HB9ftk9lAX
— BLAST, Le souffle de l'info (@blast_france) March 20, 2023
A Montpellier, une menace par LBD a été brandie contre des journalistes. Malgré leurs cris particulièrement audibles pour signaler qu'ils étaient de la presse, deux hommes ont été mis en joue, à hauteur du visage, par un policier avec cette arme. Une vidéo du même moment filmée par un riverain, depuis sa fenêtre, montre par ailleurs que le duo ne présentait pas une menace pour la sécurité des policiers.
Nouvelle vidéo de la mise en joue au LBD par un CRS avec mon confrère @RicardParreir filmée depuis un balcon. Nous hurlons presse , les policiers fondent sur nous. #manif23mars #Manifestations #ReformeDesRetraites pic.twitter.com/UZl1EQs4qO
— Samuel Clauzier (@Masleuu) March 23, 2023
Les nasses sont-elles des pratiques illégales ?
Parmi les interventions policières pointées du doigt, au-delà de leurs armes, figurent les "nasses", aussi appelée "encerclement". Cette technique policière qui consiste à ceinturer un groupe de personnes de manière mobile ou immobile par un cordon formé de membres des forces de l'ordre poursuit un but précis : "prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens" ou "contrôler" et "interpeller" des individus. Manifestants et politiques dénoncent ces interventions rappelant qu'elles sont interdites depuis une décision rendue par le Conseil d'Etat en juin 2021.
L'institution juridique a bien demandé le retrait de la technique de la nasse du schéma national du maintien de l'ordre, jugeant que "rien ne garantit que son utilisation soit adaptée, nécessaire et proportionnée aux circonstances". Et le Conseil d'Etat d'ajouter que la nasse est également "susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir".
Mais l'interdiction de recourir aux nasses n'est pas totale. Depuis sa révision en 2021, le schéma national du maintien de l'ordre prévoit qu'une nasse doit "systématiquement ménager un point de sortie contrôlé" pour les personnes encerclées -ce qui n'a pas été respecté à Strasbourg (voir la vidéo plus haut) et ne doit pas être maintenue au-delà d'une "durée strictement nécessaire et proportionnée". Une nuance qu'a rappelé Laurent Nunez, préfet de police de Paris au micro de BMFTV. Reste qu'aucune limite de temps n'est clairement établie pour une nasse, si ce n'est que l'encerclement doit être levé à la fin de la manifestation ou du rassemblement.
Une manifestation sauvage est en cours à Paris. Des manifestants pris dans une nasse réclament le droit de manifester.#ReformeDesRetraites #greve22mars pic.twitter.com/zGEK6zDfQf
— Amar Taoualit (@TaoualitAmar) March 22, 2023
L'encerclement pose plusieurs problèmes à commencer par l'absence de distinction entre les individus retenus qu'ils soient hostiles, pacifistes, manifestants ou simples passants. Il arrive aussi régulièrement que des personnes étrangères à la foule maitrisée soit retenue dans la nasse.
Deux enquêtes pour suspicions de violences policières
Les accusations de violences policières se sont multipliées depuis le début des manifestations spontanées, notamment à la gauche de l'échiquier politique. Dans les faits 11 enquêtes ont été confiées à l'IGPN dont deux sûrs pour des soupçons de violences policières. A ce sujet, Gérald Darmanin a déclaré : "Il se peut que, individuellement, les policiers et les gendarmes, souvent sous le coup de la fatigue, commettent des actes qui ne sont pas conformes à ce qu'on leur a appris à l'entraînement et à la déontologie" appelant alors à "les sanctionner". La première, ouverte mardi, concerne la vidéo montrant un membre de la brigade de répression de actions violentes motorisée (Brav-M) asséner un coup à un homme qui tombe raide. Selon les éléments de BFMTV, le manifestant frappé était en train de s'opposer à un casseur de vitrine. Le police de son côté décrit un homme "ivre" qui titubait lorsqu'il a été "poussé violemment" avant d'être aperçu en train de manifester plus tard dans la soirée.
un membre de la #BRAV vient de mettre une droite à un manifestant #ReformeDesRetraites #directAN #greve20mars #manif20mars #Manifestations #MacronDestitution #MotionDeCensureTransPartisane #Borne #Macron pic.twitter.com/PQPn4n6fuG
— Timothée Forget (@xztim_) March 20, 2023
La seconde enquête a été ouverte pour violences commises par personne dépositaire de l'autorité publique après la plainte d'une jeune femme qui a reçu des coups de matraque d'un agent de la Brav-M dans le secteur de Châtelet, alors qu'elle ne semblait pas commettre de faits répréhensibles.
Des images dignes des pires régimes autoritaires.
— Antoine Léaument (@ALeaument) March 21, 2023
Macron, la honte de lEurope. pic.twitter.com/C4e83QIfYy
Si d'autres plaintes ont été déposées, elles n'ont pas encore donné lieu à des investigations de l'IGPN. La Défenseure des droits qui a rappelé le code de déontologie des forces de l'ordre face à des mesures et interpellations préventives a toutefois invité les personnes confrontées aux violences policières à contacter son service.
De nombreux blessés chez les forces de l'ordre et manifestants
Depuis l'activation de l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer en force la réforme des retraites, les manifestations -déclarées ou non- ont pris un virage plus violent. Cela n'a pas été sans conséquence puisque de nombreux blessés, partout en France, sont à déplorer. Du côté des manifestants, une femme a notamment vu son pouce être arraché lors d'une manifestation à Rouen, le 23 mars. Du côté des forces de l'ordre, de nombreux blessés ont été recensés : 411 pour la seule journée de jeudi selon le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Parmi eux, un policier assommé par un pavé à Paris, un autre à Toulon a reçu… un compteur Linky sur la tête (!) ou encore un troisième a été blessé à la main à Poitiers.
Un policier seffondre après avoir reçu un projectile sur la tête.#NonALaReformeDesRetraites #greve22mars #manif23mars #CensurePopulaire #GreveGenerale #ReformeDesRetraites pic.twitter.com/yPEzP74qJG
— La Luciole - Média (@laluciolemedia) March 23, 2023
Il faut dire que si les rassemblements et manifestations sont, à l'origine, pour dire non à la réforme des retraites, les éléments les plus radicaux semblent simplement présents pour crier leur hostilité voire leur haine à l'encontre des forces de l'ordre, usant de divers moyens pour provoquer. Des slogans bien loin de ceux scandés par les opposants au projet de loi.
Avec Cécile Vassas
source https://www.linternaute.com/actualite/societe/2833922-violences-policieres-sont-elles-averees-des-situations-passees-au-crible/
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