"Du concret ? Non." Le déplacement d'Emmanuel Macron en Chine, à partir de ce mercredi 5 avril 2023, ne devrait pas bousculer les équilibres géopolitiques actuels. Le président de la République, qui se rend dans le pays jusqu'au 8 avril, n'apparait pas en mesure de revenir dans l'Hexagone avec des avancées concrètes sur plusieurs sujets sur lesquels son homologue Xi Jinping est partie prenante. Diplomatie internationale, droits de l'homme, accords économiques… La valise retour du chef de l'Etat ne devrait pas peser bien plus lourd qu'à l'aller. Mais c'est surtout l'image du poids diplomatique français sur le globe qui interroge. "C'est plus une visite d'Ursula Von der Leyen accompagnée d'Emmanuel Macron. Les Chinois vont le prendre comme ça", analyse auprès de Linternaute Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Chine.
Dans la délégation accompagnant Emmanuel Macron s'est en effet "imposée" la présidente de la Commission européenne, le pouvoir exécutif de l'Union européenne. C'est donc davantage au nom de l'UE, plutôt que la France, que ce voyage est organisé. Tout un symbole selon cet expert. "Qu'une visite d'Etat d'un dirigeant français soit cornaquée par une dirigeante européenne, ça dit très clairement quelque chose du niveau de souveraineté de la France. La France n'intéresse la Chine que parce qu'elle est membre du conseil permanent de sécurité des Nations Unies et la Chine ne peut pas ignorer ce membre. Sans cela, la France serait ignorée", commente Jean-Vincent Brisset, qui ajoute : "La place de la France est assez loin dans l'esprit de la Chine."
Pour Marc Julienne (dans une note), chercheur, responsable des activités Chine au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales, il ne s'agit que de la poursuite du président français de "la ligne très cohérente depuis son premier mandat d'inscrire la relation bilatérale franco-chinoise dans le cadre européen." Emmanuel Macron était déjà accompagné de dirigeants européens. lors de la réception de Xi Jinping et de son déplacement en Chine en 2019. Dès lors, que faut-il attendre de ce voyage ?
Macron muselé sur la guerre entre l'Ukraine et la Russie ?
Le principal sujet de discussion entre les dirigeants devrait être celui de la guerre en Ukraine. La Chine apparaît comme un éventuel médiateur entre l'Ukraine et la Russie, compte tenu de ses relations avec Vladimir Poutine. Une rencontre entre le président russe et son homologue chinois a d'ailleurs eu lieu fin mars. La deuxième puissance mondiale a déjà proposé un plan de paix, en douze points, qui n'a pas convaincu l'Occident. La délégation va-t-elle tenter de faire aller Xi Jinping dans le sens de l'UE ? Mission quasi-impossible. "Ursula Von der Leyen fait partie des gens extrêmement durs vis-à-vis de la Chine. Elle est va-t-en-guerre", recontextualise Jean-Vincent Brisset, notant que la dirigeante européenne milite pour une victoire armée de l'Ukraine, comme les Etats-Unis et les pays alliés.
A ses yeux, Emmanuel Macron pourrait toutefois ouvrir une brèche pour une avancée des discussions, lui qui ne tient pas tout à fait le même discours en prônant la paix plutôt que les armes, ainsi qu'il l'a redit au président ukrainien, Volodymyr Zelensky le 1er avril. "La France a tenté de faire quelque chose d'un peu différent des Occidentaux. Ça peut jouer" veut croire Jean-Vincent Brisset, qui craint que le chef de l'Etat soit muselé : "Je ne sais pas si Emmanuel Macron sera autorisé à dire que ce serait bien qu'il faut commencer par un cessez-le-feu." Car à ses côtés, Ursula Von der Leyen pourrait tenter de mettre la pression sur la Chine et la sommer de suivre l'Occident "en lui rappelant qu'elle est plus vulnérable que la Russie (à d'éventuelles sanctions, ndlr) et qu'elle ne pourrait pas les supporter car elle est moins autonome." "Le discours d'Ursula Von der Leyen, ainsi que les déclarations qu'elle sera amenée à prononcer à Pékin, risquent de mettre en avant la pusillanimité de la position française" redoute Marc Julienne.
Or, des alliances pour contrer l'Occident prend du poids entre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et la Coopération de Shangaï (Chine, Russie, Inde, Iran et divers pays d'Asie centrale), organisation à laquelle s'est dernièrement rattachée l'Arabie Saoudite. "L'Occident va se faire expliquer qu'à l'heure actuelle, les pays qui sont contre l'Occident sont en train de monter en puissance." Sur le volet de la guerre en Ukraine, c'est donc à un statu quo auquel il faut s'attendre après la rencontre entre Macron, Von der Leyen et Xi Jinping. "Il ne faut pas attendre de résultat sur ce front", tranche Marc Julienne.
Des gros contrats pour les entreprises françaises ?
Le voyage d'Emmanuel Macron en Chine peut-il être l'opportunité pour les entreprises françaises de décrocher de nouveaux contrats ? Dans la délégation qui volera jusqu'à l'empire du Milieu, une cinquantaine de grands patrons tricolores sera présente. Lors de sa venue en 2019, une quarantaine de contrats, pour un montant total de 13,6 milliards d'euros, avait été signée, en faveur de Gaztransport et Technigaz, EDF, le port de Marseille, Indigo, Orano (ex-Areva), la BNP ou encore des entreprises agroalimentaires. Cette année, la donne ne devrait pas être similaire.
Selon BFM TV, seul Veolia pourrait tenter de tirer son épingle du jeu, ainsi qu'Airbus. Pas vraiment de quoi s'emballer selon Jean-Vincent Brisset : "La spécialité de la Chine, c'est d'acheter plein d'Airbus à chaque voyage (France, Allemagne etc…). Ces contrats n'ont pas toujours été bénéficiaires puisqu'il y a une obligation de racheter les anciens avions. Concrètement, ça fait tourner les usines mais ça n'est pas bénéficiaire sur le plan financier." "Avec la Chine, les contrats bien bénéficiaires sont extrêmement rares. Ce sont plutôt des contrats de niche", explique-t-il.
Le sujet des Ouïghours abordé ?
Comme à chaque fois qu'il est question de la Chine, le sujet des droits de l'homme revient sur le devant de la scène. En 2021, l'Elysée avait affirmé qu'Emmanuel Macron avait abordé la question des Ouïghours lors d'un entretien téléphonique avec Xi Jinping, sans que cela ne soit mentionné dans le compte-rendu officiel. Un an auparavant, le chef de l'Etat avait dénoncé des "pratiques inacceptables" à l'encontre de cette population dans une lettre envoyée à des parlementaires. Depuis, silence radio.
En février 2022, lors d'un échange téléphonique, le palais présidentiel avait simplement indiqué que "dans le contexte de la présidence du Conseil de l'Union européenne, le Président de la République a plaidé pour un dialogue étroit entre l'Union européenne et la Chine afin d'aborder l'ensemble des sujets, aussi bien les objectifs communs que les points de divergence", sans préciser les détails.
Pour Jean-Vincent Brisset, les dirigeants pourront "peut-être" en parler, sans que cela n'ait d'impact. "Il n'y a jamais eu beaucoup de liberté quand un dirigeant français va en Chine. Les discours sont écrits à l'avance, notamment le chapitre sur les droits de l'homme, soumis à l'approbation de la Chine", avance le chercheur. L'évocation publique de ce sujet n'est même pas certaine.
Affirmer sa "crédibilité" sur la question de Taïwan
Aux yeux de Marc Julienne, aborder la question de Taïwan apparaît être un "dossier de prime importance." "Il est légitime et nécessaire de faire part au président chinois de la vive préoccupation de la France quant à la montée des tensions dans le détroit de Taïwan ainsi que de la nécessité pour l'ensemble de la communauté internationale (et donc pour Xi lui-même) de maintenir la stabilité et le statu quo" explique le chercheur. Pour lui, la France ne peut se défausser, question de "crédibilité dans l'Indo-Pacifique." "La France ne peut rester sourde et muette sur l'enjeu de sécurité le plus décisif de la décennie, pour la région et pour l'ordre mondial", avance-t-il. Mais la Chine l'entendra-t-elle ?
Macron en Chine, un coup pour rien ?
Avant l'envol d'Emmanuel Macron, peu de signaux laissent penser que ce déplacement aboutira à de véritables avancées. Ce pourrait même être un coup pour rien. Jean-Vincent Brisset résume : "Du concret ? Non. Ça ne reste que de la communication." Cette visite d'Etat "sera certainement présentée comme un succès parce que le président de la République semble avoir besoin de beaucoup de succès en ce moment. Maintenant, avoir un vrai succès serait une déclaration chinoise où ils s'engagent à laisser Taïwan ou à ne pas s'engager militairement à Taïwan. Ce serait une capitulation." Mais cela ne sera pas à l'ordre du jour.
source https://www.linternaute.com/actualite/politique/2868976-macron-en-chine-la-france-loin-dans-l-esprit-de-xi-jinping-une-visite-pour-rien/
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